Synchronicité
Copyrights , 1996-2005

Un beau matin, sans aucune raison apparente, M. X. se souvient dʼun camarade de caserne, dʼil y a une quinzaine dʼannées. Un certain Raymond Grandois que lʼon avait surnommé lʼindex, avec qui dʼailleurs il nʼa jamais gardé le contact. Ce souvenir saugrenu le fait sourire.

Le soir-même en rentrant chez lui, sur son répondeur : « Ceci est un message pour Raymond Grandois… ». Quelquʼun sʼest trompé mais le concours de circonstances le cloue sur place. Un frisson lui parcourt lʼéchine.

Quelques jours plus tard, M. X. passe un séjour dʼune semaine à Bornéo. M. X., estomaqué, reconnaît dans la foule bigarrée son ancien camarade. Il lʼappelle en lui faisant des signes « Raymond ! Raymond ! ». Celui-ci enfin sʼapproche et avant même que M. X. nʼait eu le temps dʼexprimer sa surprise, il lui dit : « Je suis désolé, vous devez me prendre pour un certain M. Grandois. Cʼest franchement incroyable vous êtes la deuxième personne en deux jours à faire la même erreur ! »

De retour à Paris, à lʼaéroport, M. X. aperçoit le titre dʼun magazine suspendu à un kiosque à journaux : « Paris pointe lʼindex sur Bornéo ». Un clin dʼoeil mystérieux ?

Dans le métro qui le ramène chez lui sur une banquette, un livre a été oublié par un voyageur, M. X. sʼen saisit machinalement, lʼouvre et lit la première phrase : « Qui aurait pu imaginer que Raymond pouvait se dédoubler, nous faisant croire quʼil était là-bas, alors quʼil était ici , comme sʼil montrait du doigt une direction pour mieux nous égarer ? »

Puis, plus rien…

Presque tout le monde a vécu, au moins une fois dans son existence, des coïncidences paraissant défier les lois du hasard. La plupart du temps, on se rappelle ce genre dʼévénements avec une vive émotion parfois légèrement teintée dʼinquiétude mais on finit toujours par ranger ces incidents dans lʼanecdotique. Lʼexemple ci-avant, nʼa rien de personnel, il est totalement fictif. Il essaie seulement de souligner quelques traits que je crois avoir décelés à partir de ma propre expérience.

Lʼhistoriette en exergue se classe aisément au rayon synchronicité. Cependant, il est beaucoup plus rare que ces phénomènes prennent de lʼampleur à la fois dans le nombre et dans le temps. Cela a dû sûrement arriver à dʼautres quʼà moi qui ai recensé plus dʼune soixantaine de coïncidences en une période de 4 mois. Tout se passe comme si tout à coup lʼunivers entier se mettait à vous parler à travers des signes et que dans le même temps votre pensée nʼétait plus localisée en vous-même, mais étendue dans lʼespace à la manière dʼun champ. Le sentiment dʼétrangeté se transforme en exaltation qui peut aller quelquefois jusquʼà des manifestations physiques inexplicables. Lʼinquiétude peut aussi virer à lʼanxiété.

Beaucoup de facteurs alimentent ce trouble; le premier est, en tous les cas en ce qui me concerne, la peur, presque la panique, dʼavoir perdu la raison. Or, en réalité cʼest plutôt la raison qui est perdue comme sʼil lui était donné à voir quelque chose dʼimpossible ou dʼinacceptable : la cohérence dʼun monde où la causalité communément admise nʼa pas cours.

À travers les thèmes récurrents des coïncidences, on entrʼaperçoit un discours dont la syntaxe nous échappe. Lʼanalogie la plus parlante, me semble-t-il, est le puzzle ou le rébus dont vous collectez les pièces çà et là sans avoir la moindre idée du tableau quʼil faut reconstituer. Et si toutefois vous y décelez un message, son irrationalité vous oblige à vous taire.

Lʼimmense solitude que lʼon éprouve au cours de ces périodes est une autre raison de malaise. Le sentiment dʼirréalité sʼaccentue avec la perception très aiguë que deux mondes se superposent, cohabitant dans un même lieu, et quʼil vous semble être le seul à pouvoir observer. Tout se met à parler et vous êtes le seul à entendre. Alors que lʼon se sent de plus en plus exister, réellement en contact avec quelque chose de plus grand que soi, on a lʼimpression de vivre parmi les foules endormies.

Le fait que des tierces personnes sont à même de constater objectivement les coïncidences ou autres manifestations qui vous intriguent ne suffit pas à résorber cette angoisse, quand bien même sʼen émerveilleraient-elles aussi. Les mots ne sont plus adéquats pour communiquer, car ici communiquer ne peut pas se résumer à relater des événements drôles ou surprenants. Dʼailleurs, certaines connexions extrêmement pertinentes sont parfois si intimes ou encore si incongrues que lʼon nʼose en parler. Avec des mots trop réducteurs et des concepts manquants, il apparaît impossible dʼexpliquer que nous parlons un langage de nature symbolique et que nous sommes également parlés par ce langage parce que le symbole est vivant et quʼil doit sʼéprouver. Comment évoquer la plénitude totale et le vide intense ressentis au même instant ? Comment transmettre ce qui nous apparaît comme la vraie poésie du monde ?

Autre source dʼinquiétude, la peur que lʼirrationnel se prolonge et vous laisse à jamais dans une cinquième dimension, mais aussi, la peur que tout sʼarrête brutalement ou sʼestompe et que plus rien ne se produise, vous laissant, comme je le suis aujourdʼhui, abandonné dans une espèce de trou noir, vaguement dépressif, avec un goût amer dʼinachevé.

En surfant sur le Net à la recherche dʼéléments sur la synchronicité pour la construction de ma page Web [il sʼagissait de ma première page personnelle, disparue aujourdʼhui], jʼai trouvé un site qui recense un certain nombre de récits dʼévénements synchronistiques. Le site sʼappelle Celestine [en fait il sʼagissait dʼun forum, qui semble-t-il a disparu lui aussi, mais il est vraisemblable que jʼaie rédigé ce texte dans les années 97-98], ce nʼest pas pour me déplaire; ce nom possède une charge affective pour moi puisquʼil sʼagit du prénom de ma mère qui est décédée, depuis quelques années (en 1992). Jʼai constaté que les interventions des participants tournaient autour dʼun livre de James Redfield dont je nʼavais jamais entendu parler et qui sʼintitule « The Celestine Prophecy ».

Jʼai été intrigué par le fait quʼun certain nombre dʼintervenants se demandaient si ce livre était basé sur des faits réels ou non. Cet indécidable mʼa évoqué lʼétat dʼesprit dans lequel on peut se retrouver après des coïncidences signifiantes. Jʼai acheté le livre dont le titre français est « La prophétie des Andes ». Je voulais me faire une opinion par moi-même sur la prophétie de cette Celestine.

La thématique des coïncidences et de la spiritualité sʼest présentée comme une sorte de réponse au texte que je venais de terminer pour ma page Web. Je nʼai pas remarqué sur le coup, quʼil existait une correspondance plus intime entre ce roman et ma vie. Il mʼa fallu une nuit de sommeil après la fin de ma lecture pour mʼen apercevoir. Ceux qui ont lu le roman et qui parlent lʼespagnol, comprendront lorsque jʼaurais dit que mes parents sʼappelaient : Serrano Celestina et Pastor Sébastien (que lʼon peut sʼamuser à traduire par de la montagne Celestine et prètre Sébastien), et que dans le scénario familiale ma mère représentait la spiritualité détachée des biens matériels et mon père lʼautorité irrationnelle (ceux qui ont lu ce roman verront de suite la correspondance, je pense).

Curieusement, je nʼai pas vécu cette « synchronicité  sur le mode exalté dont jʼai parlé plus haut. Et pourtant, je venais à peine de faire le rapprochement dont je parle, lorsque jʼai allumé la télévision ce qui était déjà assez inhabituel en soi car cʼétait le matin. Il y avait un film et la première parole que jʼai entendue, sortie de la bouche dʼun des personnages fut la suivante : « Bien guidé, on assimilerait mieux. Il nʼy a pas de montagne inaccessible. »

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